l’Origole – Grand Trail : récit

Petit rappel : dernières impressions d’avant-course.

Description :

75 km / 1980 m+ en nocturne dans la forêt (distance et dénivelé à confirmer suite à des modifications de dernière minute).
En raison des conditions de course (départ 22h, froid & humidité, chemins extrêmement boueux, relief cassant…), cette course est réputée comme très éprouvante et traditionnellement le pourcentage d’abandon est anormalement élevé par rapport à sa difficulté « sur le papier »

Plus d’infos sur le site officiel.

Résultats :

11h56m47 (objectif réaliste 11h, objectif ambitieux 10h)
61ème sur 113 arrivants pour 300 inscrits (33ème SEH / 49)
63% d’abandons : la course a tenu toutes ses promesses.

intermédiaire cumul
km D+ tps pace km D+ tps pace
Grand Trail
28.3 660 4°08’08 8’47 28.3 660 4°08’08 8’47
R1 13’15 4°21’23 9’15
24.3 1050 4°14’55 10’30 52.5 1710 8°36’19 9’50
R2 16’40 8°52’59 10’09
22.5 270 3°03’47 8’10 75.0 1980 11°56’47 9’33


remarque : suite aux dernières modifications du parcours (cf. plus loin), les distances sont approximatives, il doit plutôt s’agir de 30/23.5/21.5

Récit

  1. Avant-course
  2. 1ère boucle
  3. 2ème boucle
  4. 3ème boucle
  5. Bilans

Avant-course

Peu après mon billet d’humeur pré-départ je me suis allongé qqs minutes par principe, puis après un court apéro sans alcool (sauf le Whisky que j’ai goûté (j’étais obligé : j’ai ouvert une nouvelle bouteille)), départ en famille : ma petit femme m’emmène accompagnés de mes beaux père et frère. Le GPS connaît le gymnase du Perray alors c’est toujours ça d’orientation en moins et on y est en une vingtaine de minutes. Belle moyenne qui ne demande qu’à être plombée dans les heures à venir.

20h40. Marcel et Fabien m’accompagnent dans le gymnase où je les libère rapidement constatant qu’il y a la queue au contrôle des sacs. Avec mon équipement plutôt typé autonomie totale (j’entendrai plusieurs fois cette remarque avant et pendant la course) je ne suis pas inquiété et je récupère mon dossard (14 comme le Calvados) et le bonnet-souvenir offert par l’organisation.

Je démarre alors ma tournée, constatant qu’en quelques mois à peine de course j’ai déjà repéré quelques têtes : un groupe du CIVC est là, constitué de Vivi, Rémy, Philippe (tous trois sur le 28) et Etienne (ainsi que quelques-unes de leurs connaissances isolées mais à l’instinct grégaire). Ce dernier paie sa bière (c’est une Leffe alors je ne peux pas refuser) et je vais discuter qqs minutes avec Marc (inscrit sur le petit) puis mon capitaine Claude, forcément inscrit sur le grand mais dont un genou grince depuis son dernier tour d’horloge alors il vient pour voir jusqu’où ça tiendra.

je suis au centre avec les CIVC

je suis au centre avec les CIVC


De fil en aiguille le temps passe vite, la salle se remplit copieusement et Théo (Raid28) et Marian arrivent quelques minutes avant le briefing (21h40) où on n’apprend pas de grosse révélation autre que la course est menacée pour l’année prochaine et que la première boucle a été légèrement rallongée (fallait voir la tronche de ceux qui la trouvaient déjà longue…).

1ère boucle

Rassemblement sur la place de la mairie pour le départ à 22h05. On sent un peu le vent mais malgré tout il faut toujours doux et je sens qu’une fois parti le t-shirt devrait suffire. Départ au son de rien du tout (j’ai juste vu ceux de devant qui s’élançaient) et selon mon habitude je pars très tranquillement et laisse les pros et inconscients faire la trace.

Le temps de sortir du village et de rejoindre la forêt et je suis déjà dans les derniers, n’étant plus à ça près j’en profite pour faire une première pause pipi (c’est con de s’entasser dans les toilettes du gymnase à la dernière minute alors qu’on sait qu’on sera rapidement au clair de lune dans la forêt…). Note pour plus tard : penser à couper la frontale quand on pisse ou à la rigueur regarder au loin pour que tout le monde n’en profite pas plus que nécessaire.
C’est reparti sur les premiers chemins, humides certes mais stables, et peu à peu je reviens dans le rythme et double à mon tour ceux qui ont également besoin de faire une pause dès le début (dont Théo et Marian).

Le temps de passer entre les étangs (belle vue avec une légère clarté de la lune) et on attaque la vraie bouillasse. Pendant quelques temps j’arrive à éviter le pire, puis une chaussure y passe puis la seconde. Au summum de la crasse je me retrouve même subitement dans un puits où la boue m’arrive au-dessus des mollets ; en essayant de m’en sortir j’ai senti la chaussure hésiter, mais les lacets étaient suffisamment tendus et j’ai réussi à m’échapper… Au bout d’une heure environ j’arrive alors dans les premières bosses.

Évidemment les écarts se réduisent et on se retrouve vite en file indienne à monter, descendre, monter, faute technique en posant les mains par terre dans la descente, et hop une gamelle, descendre, autre gamelle (avec un bonus échardes dans les mains), monter… La procession des frontales au loin donne une ambiance méditative, si seulement certains boulets n’étaient pas en permanence en train de hurler le nom de leurs égarés (qui pour la plupart ne répondent pas puisqu’ils sont en galère trop loin). Trois ans de pratique du surf me permettent d’assurer dans les descentes, et j’ai suffisamment la pêche pour relancer un peu à la moindre ouverture et me glisser entre ceux qui n’ont pas le même rythme que moi. A ce petit jeu je finis par me retrouver derrière un maillot rouge et bleu précédé d’un clignotant rouge : Philippe et Rémy. Ils ont été largués par Vivi et je les lâche peu de temps après à mon tour pour ne pas perdre mon allure.

Je rejoins la championne quelques dizaines de minutes plus tard au bout de près de 3h de course (01h du mat’), mais quand elle maintient le rythme en montée je la laisse partir, sentant que j’en fais un peu trop si tôt dans la course. A ce moment-là j’imagine arriver au ravito dans 3/4 d’heure max…
Puis les minutes s’écoulent doucement, et plus encore les kilomètres. Une demie-heure et on est toujours en pleine forêt, 3/4 d’heure idem, et enfin on quitte notre abri pour retrouver le vent sur le plateau. S’ensuit un long chemin de croix entre les champs, un peu comme sur la R4C mais sur un chemin de tracteur au lieu du bitume ! Le coupe-vent est pour le coup salvateur, d’autant plus que cette portion est réellement interminable, avec sur l’horizon une tour radar qui semble nous dire de ses lumières rouges « viens, la route est juste là » alors qu’elle se dérobe un peu plus à chaque pas. Alors que je dépasse les 4h de course on y est enfin et dans la foulée on rentre au Perray pour se réfugier au gymnase.

quelle forme éclatante !

quelle forme éclatante !

2h15 du mat’, 4°08’13 de course, 153ème sur les 270 qui termineront cette boucle.
Près de 4h10 alors que je visais un maximum de 3h45, ça va être beaucoup plus long que prévu ! Mais comme le disait Cornelius dans le 5ème Élément « le temps n’a pas d’importance, seule la vie est importante ».

R1

Je parlais de refuge mais n’exagérons pas, en-dehors du vent il fait toujours très doux dehors et on ne ressent pas de grosse amplitude thermique en rentrant dans la salle. Tant mieux, ce n’en sera que plus facile de repartir !
Allez au boulot, ravito ne veut pas dire repos et j’ai dix minutes pour remplir la poche à eau (finalement non : je n’ai même pas bu un litre sur les 4 premières heures !). Une soupe, un sandwich, coucou Vivi, ben alors Etienne on abandonne ? Une soupe, un peu de fromage (y’a même du cantal), tiens voilà Théo sans Marian, ouh là déjà onze minutes, un coca, du cantal et je signe la feuille d’émargement en quittant le gymnase au bout de 13 minutes.

2ème boucle

Nouvelle ambiance dès ce départ : les concurrents du 28 (enfin 30) n’étant plus là et un bon paquet de ceux du 75 ayant d’ores et déjà abandonné, la route est beaucoup plus dégagée. Comme sur la première boucle ça démarre avec quelques kms de plat, la boue en moins et c’est fort appréciable (je sens mêmes les chaussettes commencer à sécher). Et puis me vient une réflexion d’un coup : si on met une heure à rejoindre les premières pentes, il en faudra sans doute autant pour en revenir, ce qui veut dire que tout le dénivelé va être concentré entre les 2 ? Eh oui…

Bel exemple de relativité : sur le moment la ligne droite dans les champs avec vent de face et un objectif visible mais dont la distance ne peut être appréciée semblait très difficile. Mais là, enchaîner pendant près de deux heures des montées et descentes en n’ayant d’autre cible qu’une ou plusieurs lumières de frontales au loin, c’est usant pour le moral. Sans parler des sections en dévers à se bousiller les chevilles en faisant les dahus.

Heureusement que le physique tient le coup, et ça ne semble pas évident pour tout le monde : après une grosse période d’observation où je fais le yo-yo derrière un groupe d’une demie-douzaine de coureurs, d’un coup je les passe tous, l’un dans une montée, l’autre sur le plat, un autre en coupant par-dessus un rocher (mauvais plan : les rochers mouillés ça glisse et j’y ai laissé un coude), les derniers dans les descentes (FredJ qui attaque dans les descentes, on aura tout vu), et subitement je me retrouve seul de chez seul au fond de la forêt : plus aucune lumière devant, plus aucune derrière… Il est environ 5h. Difficile de faire un comptage mais je pense avoir doublé vingt à trente personnes dans l’histoire.

Au passage je me souviens d’un subit moment de lucidité quand, en m’avançant au bord d’un à-pic à descendre, je me suis fait la réflexion « là ce n’est pas possible de descendre sans se planter ». Et de fait, après un premier tiers joliment négocié, j’ai entamé malgré moi un double saut périlleux carpé arrière avec une demie-vrille qui m’a fait finir en marche arrière face à la pente. Mais j’ai à peine posé les fesses…

Enfin la sortie de la forêt au bout de plus de 3h30 dans la boucle (5h30 du mat’), au village suivant je pense avoir fait le plus dur en voyant du monde, mais il ne s’agit que d’Auffargis ! Voyant ma déception, un contrôleur me rassure « c’est juste à côté, il n’y a ‘que’ 3 kilomètres… ». On voit bien que ce n’est pas lui qui court ! Et 3 km ça laisse largement le temps à la pluie de refaire son apparition. Ce coup-ci pas d’emballement, on voit toujours la lune à travers les nuages donc ça ne va pas durer ? Alors je continue comme ça et en effet au bout de cinq minutes la pluie s’arrête juste avant le Perray (c’est bien lui : j’ai reconnu le chemin). Une dernière accélération en voyant une lumière me poursuivre au loin, et bienvenue au gymnase !

6h40 le dimanche, 8°35’23 de course, 77ème sur les 160 qui termineront cette boucle.

R2

y’a plus de soupe alors je concentre mes efforts sur le sandwich et les tucs. Marian est là : il n’est pas reparti sur la 2ème, on discute un peu et également avec Etienne. Mais maintenant que ceux du 28 sont partis c’est très calme : les seuls qui traînent là sont les éclopés et survivants du 75 et ni les uns ni les autres ne sont en état de faire du bruit ! Un café, le plein d’eau (alors qu’il m’en restait encore !), j’enlève les chaussures pour virer les saletés qui se sont infiltrées, et je ne repars qu’au bout de 15 minutes.

3ème boucle

Le moral va bien, de ce côté-là je sais que ça tiendra. Pour ce qui est du physique les quadris ne sont pas en très bon état mais ça n’empire plus, et hormis les chevilles qui ont souffert en forêt rien ne semble annoncer un coup dur. Et voilà, à force de réfléchir j’ai perdu le chemin ! ça va, je suis en ville et en revenant sur mes pas je tombe sur le directeur de la course qui m’indique la bonne direction. Note pour plus tard : ne pas chercher uniquement la rubalise en hauteur mais regarder aussi au sol sur les parties goudronnées.

Je n’arrive pas à me réchauffer avec la brise qui souffle toujours alors je m’arrête rapidement pour enfiler mon manches-longues, puis arrive rapidement la forêt. Ce n’est qu’au bout d’une bonne demie-heure que j’aperçois quelqu’un devant moi. Encore un éclair de lucidité au moment de passer près d’un engin de chantier : quand je me rends compte que je rentre dans de la grosse boue je m’arrête, branche les 2 neurones qui étaient au repos, et analyse la situation : tout droit le chemin a été labouré par les précédents et je vais y laisser mes godasses, alors qu’en passant de l’autre côté de la pelle ça a l’air de tenir. Et ça tenait en effet ! Vingt secondes de perdues mais le plaisir de garder ses pieds secs quelques dizaines de minutes de plus.

7h30 du mat’, Sans aller très vite je passe le coureur qui me précédait, puis un second avec qui je discute un peu avant de le déposer dans un faux-plat (je dis déposer, mais de l’extérieur ça doit plus ressembler à une course d’escargots qu’au finish du dix mille olympique). Encore une heure seul et je me fais doubler de belle manière en même temps que je passe une nouvelle victime. Puis la pluie se réinvite à la fête, pour une bonne demie-heure cette fois. Le jour commence à pointer mais sans les lunettes ce n’est plus aussi évident de voir où je mets les pieds, d’autant plus qu’une bonne partie de la progression s’effectue en coupant à travers bois.

belle allure au bout de 9h30 de course !

belle allure au bout de 9h30 de course !

Des ronces, des fougères qui trempent les godasses aussi sûrement que les rigoles dont certaines après 10h de course sont désormais infranchissables sans sacrifier une chaussure. C’est plutôt plat mais toutes ces rigoles à enjamber ça finit d’achever les jambes, et avec la fatigue tous les accidents de terrain prennent une autre importance.

A 9 heures, sans trop savoir où j’en suis j’appelle Karine pour la prévenir que je n’arriverai que tard, sans doute entre 10h et plus vraisemblablement 10h30.

Plus par plaisir que par besoin je finis petit à petit mes réserves de sucré/salé qui auront été bien dimensionnées, et je flaire la fin en apercevant la pelleteuse décrite précédemment ; enfin je dis la fin, mais était-elle si proche du départ que cela ? Une demie-heure, 3/4h, une heure ? Sans doute pas plus… sauf que le chemin que je suis alors n’est pas le même qu’en début de boucle ! En marchant de plus en plus souvent je continue cahin-caha, et accélère un peu en apercevant un groupe de 3 coureurs qui ne vont pas bien vite. En les passant ils m’annoncent 5km pour finir, ça ferait moins de 3/4h, je prends ! Finalement je vais peut-être titiller les 12h ? Je cours un peu plus souvent à présent, sentant l’odeur du café et devinant la foule en liesse qui s’ouvre sur mon passage. En fait de foule je ne croiserai plus qu’un contrôleur qui n’a rien compris : à 500m du but il me souhaite bon courage alors qu’à cet endroit ce sont des félicitations qu’on attend !

Puis en rentrant en ville re-belote : plus de rubalise ! Je demande mon chemin à une dame qui rentre du marché et qui visiblement ne comprend pas que je veuille à tout prix aller au gymnase ‘sans prendre le chemin le plus court’ ! Et puis je coupe court la conversation en apercevant un bout de rubalise au loin. J’y go en maugréant contre les baliseurs qui ne placent pas de manière plus visible les rubans, et là grosse fatigue : j’arrive devant un chantier de construction où toutes les grilles sont maintenues par de la rubalise.
C’est ce qu’on appelle un grand moment de solitude ; inutile de craquer maintenant, il me reste 5 minutes pour rester sous les 12h, je dois être à moins de 200m du gymnase mais je ne sais pas dans quelle direction (on a beau avoir le sens de l’orientation, après 3h à tourner dans la forêt sans soleil on s’égare facilement).

Je repars au feeling et finis par repérer l’enseigne de l’usine devant laquelle je m’étais arrêté pour m’habiller ; sauvé ! Quelques dizaines de mètres dans les rues désertes et indifférentes et le gymnase, j’ouvre la porte et accepte non sans fierté les félicitations des commissaires et les acclamations de ceux qui m’ont précédé.
Il est 10h, ça fait 11h56 que nous sommes partis.

Bilan

un peu à l'ouest quand même !

un peu à l'ouest quand même !

une famille de champions !

une famille de champions !

  • au moins 7 grosses gamelles (j’en ai des souvenirs sur chaque genou, un coude, une cuisse, une main)
  • une demie-douzaine de bains de pieds dans la boue plus ou moins liquide
  • 75km & 12h : à ce jour les plus longues distances et durées réalisées en course
  • 12h : c’est 1,5 fois le temps du 1er, je suis à ma place !
  • par rapport aux Lavoirs et au Sancy j’ai enfin géré correctement les ravitos perso. ; le métier rentre…
  • 2 points UTMB, ils n’ont pas été volés !

Bilan (II)

Évidemment avec un mois de novembre plus sérieux j’aurai peut-être fait mieux, mais je savoure le privilège d’être simplement à l’arrivée. Et puis globalement le physique à bien tenu et le mental encore plus, en n’ayant à aucun moment le moindre doute sur ma capacité à arriver au bout.

Comme le disait Sénèque (mais je ne sais pas lequel) : « ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles »…
Finir le Sancy a provoqué un déclic, je l’ai vu à Reims et sur la R4C, maintenant je me sens un peu dans la peau du tueur de Zorg (toujours dans le 5ème élément) : « Je vais vous dire ce que j’aime, en fait c’est un tueur, un véritable tueur, froid, hygiénique, méthodique et minutieux, un vrai professionnel ».

Maintenant que le comptable est acquis, reste quelques semaines pour me décider si je me sens tueur au point d’attaquer l’UTMB ou si je m’accorde un peu de temps ?

3 comments to l’Origole – Grand Trail : récit

  • Vivi

    Magnifique récit, traileur et poète, chapeau! Bisous, repose-toi bien et vas-y fonce pour l’UTMB tu m’as l’air prêt!

  • Andrée, la tante

    Bravo ! Pour moi, c’est la découverte. Lecture captivante : on croit y être. Je m’en sors pas même fatiguée, et pourtant je n’ai ni le moral, ni le physique ! Gros bisous.

  • Théo

    Souvenirs souvenirs…..tu es sur les traces de Sherpa!